La table du temps jadis,
voyage au coeur de la cuisine et
de la gastronomie du premier Empire Napoléonien

La révolution culinaire et l’émergence de nouveaux standards de luxe et d’élégance

Le premier Empire Napoléonien (1804-1815) est une période de l’Histoire de France marquée par une certaine forme d’explosion de la gastronomie. Une époque durant laquelle les restaurants sont créés, les commerces de bouche et les grands traiteurs émergents. Le terme gastronomie est par ailleurs déjà inventé en 1802 par Joseph de Berchoux, au cœur de son ouvrage La gastronomie ou l’homme des champs à table en 1801. Au premier Empire on adore écrire autour de ce grand plaisir qui est la gastronomie ; Grimod de la Reynière publie les Almanachs des Gourmands. L’œuvre Physiologie du goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin éditée anonymement en décembre 1825, deux mois avant la mort de son auteur, a un succès inattendu : il est décrit par un critique de l’époque  » Livre divin qui a porté à l’art de manger le flambeau du génie « . Tous ces gourmets se retrouvent dîner dans un établissement de renom : ‘La grande taverne de Londres’, le restaurant d’Antoine Beauvilliers, chef cuisinier français. Ce lieu se distingue comme le premier grand restaurant d’envergure de la capitale, avec ses intérieurs décorés avec soin, ses salons feutrés, un service irréprochable, ainsi qu’une cuisine raffinée et une cave exceptionnelle. Beauvilliers, reconnu pour sa mémoire remarquable, a l’aptitude unique de reconnaître ses clients et de les conseiller dans leurs choix. Ancien officier de bouche du comte de Provence, il accueille ses hôtes vêtu d’un uniforme d’officier de bouche et l’épée au flanc. Son établissement demeure inégalé pendant plus de deux décennies, devenant un lieu prisé par l’élite parisienne.

Durant l’Empire, villas prestigieuses, châteaux et autres hôtels particuliers offrent des intérieurs chauds et des décors chatoyants d’une grande élégance. Les candélabres mettent en valeur les décorations somptueuses des pièces de réception, qui proposent une cuisine décorative et des mises en scènes impériales, tout droit inspirées des campagnes Napoléoniennes.

Mais le premier Empire est aussi celui du paradoxe gastronomique. Napoléon en effet, loin d’être un fin gourmet, ou même un gastronome reconnu, est en bon militaire d’avantage habitué aux repas rapides, voire expéditifs, pris souvent debout ou même à cheval. Mais en fin stratège qu’il est aussi, il n’en mesure pas moins l’importance de la table dans la pratique quotidienne de la diplomatie, comme de la politique. Raison pour laquelle, le premier empereur des Français délègue à ses maréchaux ces repas considérés comme stratégiques. Il pousse même l’art de la table à un tel niveau d’excellence, que la gastronomie française rayonne alors en tous lieux de cet éclat unique qui brille encore de nos jours. L’élégance de la mise en place joue un rôle crucial dans l’affichage du pouvoir. Au cœur de cette tactique politique, les services de porcelaine élaborés par la célèbre manufacture de Sèvres tiennent une place de choix. L’empereur, soucieux d’impressionner, passe commande de divers services de table pour les palais impériaux et pour des événements spécifiques tels que les festivités de mariage au sein de la famille impériale. Ces services de fine porcelaine deviennent des présents privilégiés, offerts aussi bien à Alexandre 1er de Russie qu’aux dignitaires de la Cour.

Les plus grands orfèvres, pour décorer les tables des banquets, exécutent des pièces d’exception inspirées de l’Antiquité grecque et romaine. Certains s’accordent à dire qu’il y a bien eu un avant et un après l’Empire dans l’histoire de la gastronomie à la française !

La table au palais Royal, à la Malmaison et sur le champ de bataille

Peu de banquets durant l’Empire

Napoléon n’apprécie pas les banquets d’apparat qui s’éternisent et semblent souvent – avec le service à la française – être sans fin. Et pourtant, il décide de rétablir  » l’étiquette du palais royal « , avec notamment la table de l’Empereur installée sur une estrade et venant surplomber les autres. Une table autour de laquelle seuls les souverains, mais aussi l’impératrice, ainsi que sa mère, peuvent prendre place.

Les historiens s’accordent à ne compter que peu de grands banquets impériaux (moins de 10 paraît-il) donnés durant la période de l’Empire. Pour ne citer qu’eux, on peut évoquer celui qui fait suite au sacre en 1804, puis celui lié à la distribution des aigles aux armées, celui proposé pour le mariage du roi Jérôme en 1807, ou même le banquet donné lors de son mariage avec Marie-Louise en 1810, ou encore celui en l’honneur du baptême du roi de Rome en 1811.

À la table de Napoléon

Son vin, Napoléon 1er l’aime plutôt coupé avec le même volume d’eau plutôt fraîche, voire glacée, comme c’est de mise durant cette époque de l’Empire. Parmi ses cépages préférés, on peut citer les bourgognes et son vin préféré est le Chambertin âgé de 5 ou 6 ans. Notons que l’empereur boit assez souvent de façon immodérée dès lors que son travail l’amène jusque tard dans la nuit.

Côté plats, la simplicité est toujours de mise et on retrouve fréquemment dans son assiette une variété de viandes : côtelettes d’agneau, poulet, mais également des féculents (plutôt des pâtes).

Parmi les recettes préférées de l’Empereur Napoléon, citons les tagliatelles à la Corse ou les timbales de macaronis, ou encore le boudin à la Richelieu avec des pommes délicieusement aromatisées de cannelle. Il apprécie aussi les diverses charcuteries, comme les crépinettes. Pour ce qui est des fruits, Napoléon a un véritable amour pour les dattes, souvenir de sa campagne d’Égypte. Le café ainsi que le chocolat sont ses péchés mignons.

Peut-être que ses douleurs gastriques chroniques tristement célèbres (maintes fois immortalisées sur des peintures le représentant avec une main positionnée à l’intérieur de son gilet) n’ont sans doute pas favorisé son goût pour la gastronomie.

Joséphine prend en main les réceptions et l’art de recevoir devient grandiose

Retenons toutefois que si l’empereur n’est pas féru de gastronomie, Joséphine de Beauharnais, qui a un goût sûr en toutes choses, décide de prendre en charge les réceptions à la Malmaison, dépensant sans compter (50 000 francs par an pour le vin…).

Les invités de marque défilent dans la résidence impériale et les meilleurs cuisiniers de l’époque sont missionnés à l’élaboration de mets délicats pour épater la galerie. Ils ajoutent certaines fois à leurs recettes de l’Empire, des notes exotiques (créoles) pour honorer la maîtresse de maison.

Les fruits et les légumes, relevés d’épices et de saveurs d’ailleurs, accompagnent les viandes et les plats, rappelant certaines fois les goûts plutôt simples de l’Empereur.
Les repas s’ouvrent avec un potage qui se décline dans de multiples versions : maigre, gras, à la tortue, à la turque, à l’italienne… S’ensuivent des plats tous plus raffinés les uns que les autres. Ainsi, cappuccino de volaille au café, féroce d’avocat, osso-buco à l’orange-vanille viennent en renfort des mets plus au goût de l’Empereur : timbale de macaronis, rognons de veau en croûte, babas au limoncello, corbeau grillé… Le tout mis en scène dans un art de la table d’une grande élégance.

Le poulet Marengo, la célèbre recette d’un cuisinier de Napoléon

Selon la légende, alors que l’Empereur vient de scinder son armée en deux corps distincts, comme lors de la bataille de Waterloo, le général Desaix arrive sur l’arrière des Autrichiens, les malmène puis finit par décéder dans la bataille de Marengo (14 juin 1800). Napoléon, bien que peiné, est tellement soulagé d’avoir survécu qu’il réclame de quoi manger sur le champ. Dunand, son cuisinier dans l’armée d’Italie, prépare un plat à base de produits locaux afin de calmer la faim impérieuse du conquérant. Un poulet est alors découpé, puis mis à frire dans de l’huile d’olive et assaisonné avec de la pulpe de tomates rehaussée au cognac. Et pour accompagner ce plat improvisé, sont ajoutés des œufs frits et des écrevisses.

Au-delà de la légende, il est couramment admis que le plat connu sous le nom de poulet Marengo trouve en fait ses racines dans une tradition culinaire du Piémont où Napoléon savoure ce plat la veille de la célèbre bataille. Après avoir remporté la victoire, il demande à son chef, Dunand, de lui préparer à nouveau ce fameux poulet à la piémontaise. Dunand s’exécute, mais en adaptant la recette originale, faute de disposer de tous les ingrédients nécessaires.

Quoi qu’il en soit, cette recette trouvée en toute hâte par Dunand, malgré les maigres provisions dont il dispose après la victoire de Marengo sur les troupes autrichiennes, est depuis préparée partout en France et aussi déclinée avec du lapin ou du veau.

Les cuisiniers de l’Empire au service du pouvoir impérial

Citons plusieurs cuisiniers de talent qui mettent couteaux, poêlons et passions au service du pouvoir : François Claude Guignet, dit Dunant, qui entre très tôt au service de Bonaparte, mais aussi André Viard auteur du fameux ouvrage Le Cuisinier impérial ou l’art de faire la cuisine et la pâtisserie pour toutes les fortunes, livre adapté en diverses versions lors du XIXe siècle : Le Cuisinier royal, puis Le Cuisinier national, pour redevenir Le Cuisinier impérial. Personnage ambigu, à la fois discret, mais aussi excentrique, il est considéré comme un véritable génie dans son domaine. Il attire l’attention de l’archichancelier Jean-Jacques de Cambacérès qui lui confie l’organisation de plusieurs de ses banquets.

Antonin Carême, surnommé le « roi des chefs et le chef des rois », brille comme une étoile incontestée dans le firmament de la haute gastronomie. Sa carrière, débutant dans les humbles cuisines de Paris, est une véritable odyssée culinaire. Il se révèle rapidement comme un prodige de la pâtisserie, captivant l’attention des gourmets de la capitale.

Son talent exceptionnel ne tarde pas à franchir les murs des cuisines parisiennes. Carême attire l’attention de figures influentes de son temps, notamment Charles Maurice de Talleyrand, diplomate et fin gastronome. Pour Talleyrand, Carême crée des festins somptueux, consolidant ainsi sa réputation de maître culinaire. Au-delà de Talleyrand, Carême sert des personnalités de marque telles que l’empereur François Ier d’Autriche, le tsar Alexandre Ier de Russie et le roi George IV d’Angleterre. Chaque service est une démonstration de son génie, mêlant créativité et raffinement.

Ses contributions à la littérature culinaire sont également révolutionnaires. Des ouvrages comme Le Pâtissier Royal Parisien et l’œuvre en cinq volumes L’Art de la Cuisine au XIXe siècle ne sont pas seulement des recueils de recettes : ils sont des manifestes qui redéfinissent l’art culinaire.

La disparition de Carême, le 12 février 1833, marque la fin d’une ère, mais son héritage demeure impérissable. Son disciple, Armand Plumerey, reprend le flambeau, s’inspirant de son mentor pour continuer à élever l’art de la cuisine française. C’est lui qui, après le décès de Carême, termine L’Art de la Cuisine au XIXe siècle.

Ainsi, bien que Carême ne soit plus parmi nous, son esprit, à travers ses créations, ses écrits, et ses disciples, continue de nourrir et d’inspirer le monde de la gastronomie dans le monde entier. Carême est le premier cuisinier à porter véritablement le titre de Chef. C’est lui qui instaure la toque blanche de chef comme un emblème de la cuisine d’élite. C’est en 1821, alors qu’il officie pour l’ambassadeur du Royaume-Uni à Vienne, qu’il arbore pour la première fois cette coiffe distinctive. Inspiré par les uniformes élégants présents lors du Congrès de Vienne, Carême réinvente les coiffes souples traditionnelles qu’on appelle déjà les toques, les transformant en toques plus structurées grâce à l’intégration d’un cercle de carton rigide. Son approche, alliant la finesse de sa cuisine à une présentation impeccable, contribue à forger la stature professionnelle du chef cuisinier. Cette innovation ne tarde pas à gagner en popularité, propageant le prestige de la toque de chef bien au-delà des frontières européennes. C’est pourtant avec Auguste Escoffier que la toque contemporaine, plissée et droite, s’impose dans sa version actuelle, mais cela est une autre histoire…

Livres et références sur la gastronomie sous l’Empire

Côté recettes :

  • L’art de la cuisine française au XIXe siècle par Antonin Carême
  • Le Pâtissier Royal Parisien par Antonin Carême
  • Le principal de la cuisine de Paris : Traité des entrées chaudes, des rots en gras et en maigre, des entremets de légumes, entremets sucrés et autres d’Armand Plumerey
  • L’art du cuisinier par Antoine Beauvilliers
  • Prelibatezze e curiosità nel piatto di Napoleone de Ada Corneri

Pour aller plus loin dans la découverte de la gastronomie sous l’Empire de Napoléon Ier :

  • L’Empire à table par Anne-Marie Nisbet et Victor-André Massena
  • Des grognards à Napoléon: Les cuisines de l’Empire suivi de Recettes pour les cérémonies et le bivouac par Jean-Paul Escalettes
  • Manuel des amphitryons de Grimod de La Reynière
  • Almanach des gourmands de Grimod de La Reynière
  • Physiologie du goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin

Les Recettes anciennes du premier Empire Napoléonien

Bienvenue à l’époque de l’Empire, une période de l’histoire de France qui marque la gastronomie et l’art de recevoir. L’inventivité des chefs et des cuisiniers du premier Empire laisse des notes gustatives précieuses et mémorables, servies dans des atmosphères élégantes et grandioses.

La Table du Temps Jadis vous invite à retrouver des recettes savoureuses qui ont marqué l’Empire et qui sont réalisables avec les ingrédients d’aujourd’hui.
Quel plaisir de vous partager ces recettes de jadis que vous allez pouvoir préparer pour votre plaisir ou celui de vos invités…