Avec la table du temps jadis,
découvrez la gastronomie du Grand Siècle, ou la cuisine aristocratique

Un nouvel équilibre entre modernité et tradition redéfinit la gastronomie

Entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, on assiste en France à l’émergence d’une nouvelle cuisine, la cuisine aristocratique, avec ses codes, ses méthodes et ses savoir-être. Les épices laissent la place aux bouquets garnis et aromatiques, le beurre s’impose dans bon nombre de plats, on y voit la naissance des ragoûts, des sauces, des bouillons et autres fonds de cuisson pour concocter les mets.

Un nouvel art culinaire naît, plus moderne, rompant définitivement avec la tradition médiévale. Le profil du Gourmet apparaît, en résonance avec un certain raffinement des mœurs et d’une sensibilité nouvelle de tous les sens. Les notions de goût et de plaisir deviennent nécessaires et soutiennent la plus raffinée des quêtes. Des cuisiniers plus créatifs et innovants les uns que les autres se succèdent et l’étiquette à table se fait véritable art de vivre.

Le XVIIe siècle, encore nommé le Grand Siècle, marque de son empreinte la gastronomie, et avec lui  » la Table à Française  » s’impose comme une marque d’élégance et de raffinement. Après l’opulence et les décorums de la Renaissance, le règne de Louis XIII signe une éclipse culinaire. Celui du Roi-Soleil (Louis XIV), voit quant à lui l’émergence d’une nouvelle gastronomie qui se fait miroir de tout ce qui caractérise et reflète la monarchie, avec des notes tout aussi somptueuses que distinguées.

La gastronomie française pose alors ses règles dans les cuisines, avec ce qui est considéré comme étant de  » bon goût « , en lien avec les aliments. Une approche et un art culinaire tout en subtilités et exigences se développe dans les maisons bourgeoises et aristocratiques. Au cours de cette période de l’histoire de France, des polémiques culinaires marquées se cristallisent entre les plus modernistes et les traditionalistes, avec des désaccords qui apparaissent au cœur des ouvrages de cuisine.

L’Époque du Grand Siècle signe la naissance de la grande cuisine et d’un certain art de la table

La grande cuisine et ses codes

Ainsi le  » service à la française  » qui a émergé durant le Moyen Âge devient au cours du Grand Siècle (XVIIe siècle) plus complexe et il s’étoffe de nombreux codes. A la cour le raffinement protocolaire et l’ère de la domesticité sont à leur comble.

Pensons à l » ambigu  » préparé par François Vatel, le plus grand maître d’hôtel français, le 17 aout 1661 au Château de Vaux Le Vicomte pour Louis XIV à l’occasion de la fête organisée par Nicolas Fouquet, surintendant des Finances du Roi, en honneur de ce dernier (sans savoir qu’il l’aurait regretté…). L’ambigu est un festin fusionnant subtilement les caractéristiques d’une légère collation et d’un souper, où l’on sert conjointement les mets carnés et les douceurs sucrées. L’ensemble des préparations, qu’elles soient chaudes ou froides, salées ou sucrées, se voit disposé avec une élégance artistique sur un unique dressoir, orchestrant une mise en scène exquise qui enchante autant la vue que le palais. L’ambigu est très bien décrit dans le livre  » L’art de bien traiter  » (1674), page 360  » on met d’abord tout ensemble, mais avec un ordre et un compartiment fort juste qui réjouit agréablement les sens et qui donne de l’appétit aux plus dégoutés « . Le service de l’ambigu peut être comparé aux plus magnifiques buffets de nos jours, avec la différence que les convives sont assis autour de la table.

Les hôtes, selon leur rang et leur place, n’accèdent pas à l’intégralité des plats, qui à peine touchés, sont resservis à d’autres tables, utilisés pour la préparation de farces ou encore pour les repas des domestiques.

Notons d’ailleurs que la revente des restes compose à cette époque une partie des gages des domestiques. On imagine aisément qu’en chargeant au maximum les plats et en accélérant leur rotation sur les tables de leurs maîtres, ils en tirent plus de bénéfices. Un plat posé au milieu de la table royale n’est jamais laissé vide, cela serait en plus manquer d’élégance et de bienséance.

La religion chrétienne reste puissante durant le Grand Siècle. Comme durant le Moyen Âge, la viande n’est pas consommée les jours considérés comme maigres, par respect pour le dogme. Durant les périodes dites de jeûne (carême…), une collation de mets sucrés est autorisée en soirée, venant compléter l’unique repas de la journée.

Le passage d’un jour maigre à un jour gras, le  » médianoche  » ou encore le  » réveillon  » (minuit), donne accès à un repas de viande et sonne l’heure des divertissements à la cour du roi.

L’art de la table au Grand Siècle

La table, dressée de façon élégante et raffinée, est décorée avec des fleurs disposées en guirlandes. Les nappes sont blanches, en lin ou en damas. Au centre de la table, on trouve le

“ surtout ”, appelé aussi “ dormant ” : une pièce d’orfèvrerie qui réunit salières, épices, moutardier, huilier, vinaigrier, sucrier, vases et flambeaux.

Chaque convive est doté d’un couvert individuel : couteau, cuillère et fourchette à trois dents sont placées d’un seul côté de l’assiette, mais l’usage de la fourchette reste limité : elle va du plat à l’assiette pour se servir, puis les doigts prennent le relais à la dégustation. Pour la petite histoire, c’est au XVIIe siècle que, à table, la lame du couteau devient arrondie et ceci grâce à Richelieu qui ne supporte plus que ses convives utilisent la pointe du couteau pour se curer les dents (ce que je comprends parfaitement).

Louis XIV adore le faste et, à la cour, les assiettes et les couverts sont en argent. C’est au cours de ce même siècle que les nobles font graver le dos des couverts de leurs armoiries. Selon la légende, c’est le cardinal Mazarin qui ramène l’assiette creuse d’Italie en 1653 (on appelle cette assiette  » mazarine « ).

Les bouteilles et les verres sont absents des tables (par crainte notamment des empoisonnements). Lorsqu’ils souhaitent boire, les convives doivent solliciter les serviteurs. Les verres sont placés dans des verrières disposées sur des dessertes.

Comment se compose un repas à la Table de Louis XIV ?

Durant l’ère du Grand Siècle, l’ordonnancement protocolaire du dîner royal est de mise.

Voici un exemple de menu de  » petit couvert  » (le repas que Louis XIV prend seul dans son appartement) qui lui est servi le 16 novembre 1700 : pour commencer quatre potages (à cette époque on nommait comme cela des mets cuits dans un pot, donc ne pensez pas à une soupe légère) dont une bisque de pigeonneaux et des perdrix aux choux. Suivent les entrées, tourtes à la braise et poulardes dépecées aux truffes. Pour le deuxième service, des rôts, viande et poisson. Enfin, pour le dessert, on lui sert des confitures sèches de prunes et de cerises, des oranges confites, des écorces d’orange, des massepains et des biscuits, des figues, des melons et des compotes diverses.

Pour le  » Grand Couvert « , la foule se presse dans l’antichambre de l’appartement du roi pour assister au repas que le souverain partage avec sa famille. Ce souper s’articule en cinq services : le premier est celui des potages. Vient ensuite le deuxième service, celui des viandes, qui seront accompagnées de salades. Le troisième service, celui des entremets, précède la pyramide de fruits. Et pour terminer son repas, le Roi-Soleil apprécie qu’il lui soit servi un œuf dur et des sucreries. Pendant ce souper, sont présentés au roi environ 40 mets

Le roi mangeait beaucoup, trop selon ses médecins, que ses crises de goutte inquiétaient. Mais Louis XIV était gourmand et surtout, comme nous venons de le voir, bien servi.

Que mange-t-on durant le Grand Siècle ? Le plaisir avant tout !

Voici incontestablement une cuisine qui privilégie les plaisirs bien avant le bien-être et la santé. D’ailleurs, la gastronomie du Grand Siècle ne se préoccupe plus des anciennes précautions et autres règles sanitaires jusqu’alors appliquées. Ainsi, l’utilisation de denrées pouvant être nocives (tels les champignons ou l’abondance de truffes…) s’accélère et freine le recours aux épices issues des territoires lointains, utilisées par l’ancienne médecine galénique (médicinale et correctrice des défauts de santé).

Sont préférées les sauces plus grasses et à forte densité (saindoux, farine) à la place des sauces finement acidulées (vinaigre et agretto sont utilisés comme désinfectants durant des siècles). L’amour de la bonne nourriture n’est plus perçue comme un péché de gourmandise, mais bel et bien comme l’expression même du bon goût et d’une croyance saine qui se développe en vérité durant cette époque : les bons plats favorisent le maintien en bonne santé.

Le déclin des épices, au profit des herbes aromatiques

Les épices ne sont plus considérées comme des denrées rares, on observe d’ailleurs durant le Grand Siècle leur démocratisation au cœur des nombreux marchés urbains. Leur consommation se banalise, les tables raffinées leur substituent des plantes aromatiques qui donneront naissance au fameux bouquet garni, le  » paquet « , souvent utilisé de nos jours (thym, laurier, persil, ciboulette, estragon, romarin…).

Apparition des sauces, ragoûts, jus et coulis

La cuisine du Grand Siècle se fait plus technique, des méthodes innovantes émergent.

Les viandes et les poissons ne sont plus adoucis, le sucre n’est plus utilisé à foison, mais préféré pour la pâtisserie. Les sauces maigres disparaissent petit à petit, d’ailleurs la moutarde est l’ultime survivante. Les sauces grasses, voluptueuses et savoureuses, prennent place, composées de beurre, d’œufs, de crème qui se mélangent avec raffinement à la délicatesse des nouveaux parfums d’herbes fraîches.

Le roux (même si on ne le nomme pas encore comme ça) prend naissance avec une nouvelle technique de liaison (à base de beurre et de farine) ; cette technique apparaît pour la première fois dans le livre  » Le Cuisinier François  » (1651) de La Varenne dans une recette de dinde à la framboise. Massialot, dans son  » Le cuisinier roïal et bourgeois  » nous propose plusieurs recettes de coulis, qu’il définit comme  » une manière de sauce, servant aux liaisons et à donner une saveur agréable aux choses  » ; cet ancêtre de nos fonds, est préparé avec une sorte de bouillon de viande (ou de légumes, pour les jours maigres) enrichi avec un agent de liaison (pain, farine), assaisonné de sel, poivre et herbes fraiches puis passé au tamis.

Les sauces émulsionnées se font accompagnements parfaits de poissons (brochet…). C’est à ce moment que l’on crée la sauce hollandaise, dont le nom est un hommage à la victoire française lors de la guerre de Hollande (1672-1678).

Autre grande innovation de cette époque est la pratique de déglacer les viandes rôties dans des récipients fermés, donnant naissance au  » grand bouillon nourricier « . Ce bouillon est généralement composé de bœuf, de veau, de mouton, de leurs abats, de diverses volailles et de lard, auxquels on ajoute couramment un  » paquet « , autrement dit un bouquet garni.

Le retour des légumes dans la cuisine

Le Grand siècle fait honneur aux légumes (même en ce qui concerne les légumes racines mal perçus jusqu’à lors), qui marquent leur grand retour.

Louis XIV adore les asperges, les artichauts et surtout les petits pois, mais aussi salades, concombres et choux-fleurs et afin de pouvoir profiter de ses légumes préférés à sa convenance, il charge Jean-Baptiste de La Quintinie, d’aménager un potager dans les environs du Château de Versailles. Ce remarquable jardinier (qui est un avocat reconverti à l’horticulture) développe, pour le plus grand plaisir de Sa Majesté, des techniques (fumier pour chauffer le sol, cloches en verre, coupe-vent) permettant de cueillir des petits pois au tout début du printemps et d’avoir des laitues et des asperges en plein hiver. Le souverain est aussi un grand amateur de poires et La Quintinie, afin de le satisfaire, cultive notamment une cinquantaine de variétés de poires dans le potager.

Ce célèbre Potager du Roy existe encore aujourd’hui et je vous invite à aller le voir, car sa visite mérite vraiment le détour.

Le plaisir s’invite dans les sucreries et les boissons

L’art des confitures, des compotes, des gelées et des marmelades s’impose, tout comme le café et le thé qui se mutent en boissons tendances. Le Procope, lieu parisien plébiscité par la frange intellectuelle et les penseurs (écrivains, philosophes) de l’époque, ouvre ses portes en 1674. C’est le premier café créé.

Le chocolat fait son entrée en France grâce à la reine Anne d’Autriche, princesse espagnole, et la chocolatière apparaît avec son manche en bois et son couvercle percé au centre pour permettre au moussoir (tige en bois ouvragé) de mélanger le chocolat.

L’assemblage et l’élaboration du champagne, parfaitement maîtrisés par un moine bénédictin, mais aussi œnologue, Pierre Pérignon (dit Dom Pérignon), favorise son succès sur les tables royales au cours du XVIIIe siècle.

Livres et références sur la table au XVIIème siècle

  • Côté recettes :
    • Le Cuisinier François de La Varenne
    • Le Cuisinier de Pierre de Lune
    • Le Cuisinier royal et bourgeois de Massialot
    • La Gastronomie au Grand Siècle par Françoise Sabban et Silvano Serventi
    • 100 Recettes du temps de Louis XIV par Anne de Bergh et Joyce Briand
  • Pour en savoir plus sur l’Art culinaire du Grand Siècle :
    • Vatel, Les fastes de la table sous Louis XIV par Nicole Garnier-Pelle
    • À la table du Roi Soleil, récit et recettes par Marie et de Françoise de La Forest
    • Mémoire Gourmande de Madame de Sévigné par Jean-Yves Patte et Jacqueline Queneau.

Les Recettes anciennes du XVIIème siècle proposées par la Table du Temps Jadis

C’est parti pour un voyage au temps des seigneurs médiévaux et des nobles de la Renaissance… Faites-vous plaisir et régalez vos invités.