Guillaume Tirel, dit Taillevent

Premier maître de bouche des rois de France

Guillaume Tirel, dit Taillevent

Premier maître de bouche des rois de France

« Cy commence le Viandier Taillevent, que cuisinier du Roy nostre sire… »

Il est rare qu’un cuisinier médiéval sorte de l’ombre du temps avec autant de netteté. Pourtant, Guillaume Tirel, surnommé Taillevent, incarne à lui seul l’émergence de la figure du chef en France : un homme dont la carrière, la renommée et l’héritage culinaire traversent les siècles, des cuisines du roi aux bibliothèques modernes.

Un destin hors du commun

Nous ne connaissons pas son lieu de naissance, mais Guillaume Tirel apparaît pour la première fois en 1326, enfant de cuisine au service de la reine de France et de Navarre Jeanne d’Évreux. On le devine adolescent, entre 10 et 15 ans, s’affairant aux tâches ménagères dans les cuisines royales. En 1330, il est qualifié de « valet de cuisine » auprès de Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI, et gravit rapidement les échelons : en 1346, il est « cuisinier du roi », puis « queux« , terme désignant celui qui supervise la table du souverain.

Sa carrière s’étire sur près de cinquante ans au service de trois rois : Philippe VI, Jean le Bon, Charles V. En 1364, il devient « premier queux« , titre suprême, véritable chef d’orchestre des festins de cour. Il conservera cette fonction jusqu’à sa mort en 1395, à plus de 80 ans. Ce record de longévité professionnelle illustre autant ses talents que la confiance royale.

Un pouvoir bien plus que culinaire

Taillevent n’était pas qu’un exécutant. À partir de Charles V, il supervisait l’ensemble du fonctionnement des cuisines : achats, approvisionnements, gestion du personnel. C’était un poste de prestige, réservé à des nobles. Il participe aux réceptions diplomatiques et aux cérémonies. Il est même mentionné dans des actes royaux pour l’acquisition de terres, preuve de sa position sociale. Avec Charles VI, qu’il sert jusque dans ses dernières années, il accède à la fonction d’échanson«  – chargé des boissons – et continue de diriger l’ensemble des cuisines du palais.

Une figure pionnière dans l’histoire du métier de cuisinier

Jusqu’au XIVe siècle, le cuisinier n’est souvent qu’un exécutant, anonyme et interchangeable. Mais Guillaume Tirel change la donne. Il est l’un des premiers à incarner une fonction culinaire valorisée, codifiée et reconnue.

Son surnom, « Taillevent« , pourrait évoquer une lame qui fend l’air ou un homme vif, à la gestuelle tranchante. Mais c’est surtout un nom de scène — le premier peut-être — dans un univers où les métiers de bouche sortent de l’ombre des palais.

Taillevent meurt en 1395, inhumé à Saint-Germain-en-Laye. Par sa longévité, sa maîtrise de la table royale et l’empreinte qu’il laisse dans les manuscrits, il ouvre la voie à une reconnaissance nouvelle : celle du cuisinier comme artiste et technicien, pilier du prestige royal autant que de la culture.

Le Viandier — un legs culinaire inestimable

Taillevent est avant tout passé à la postérité grâce à un ouvrage qui porte son nom : Le Viandier. Ce recueil de recettes, dont les plus anciens manuscrits datent du début du XIVe siècle, constitue l’un des premiers traités culinaires français. Il est difficile de déterminer quelle part revient véritablement à Tirel, mais son nom est associé dès la fin du Moyen Âge à une tradition écrite culinaire de grand prestige.

On y trouve environ 230 recettes : potages, viandes, poissons, sauces, desserts. L’accent est mis sur l’usage des épices (safran, gingembre, cannelle), les cuissons multiples, les mélanges sucré-salé, les couleurs et l’esthétique des plats. Le terme « viandes«  ne désigne pas que la chair, mais tous les aliments en général.

La première édition imprimée date de 1486 et sera régulièrement rééditée jusqu’en 1615. La popularité du Viandier est telle qu’elle contribue à forger une mémoire culinaire française avant même que le mot “gastronomie” n’apparaisse.

Une mémoire vivante

Aujourd’hui encore, Taillevent reste une figure célébrée : un restaurant étoilé porte son nom à Paris, et le lycée hôtelier Guillaume-Tirel forme les futurs chefs dans son ombre tutélaire.

Plus qu’un homme de son temps, Taillevent incarne la naissance d’une culture culinaire savante, codifiée et transmise. Il est l’un des premiers à montrer que la cuisine pouvait être un art, une science… et un pouvoir.

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