Sainte Hildegarde de Bingen

Quand l’alimentation devient joie

Au XIIe siècle, une abbesse visionnaire transforme la manière de penser la santé et la cuisine. Hildegarde de Bingen, mystique et guérisseuse, fait de l’alimentation un chemin vers la joie et l’équilibre, dans une étonnante harmonie entre foi, nature et science.

Une femme aux multiples dons

Née en 1098, Hildegarde de Bingen est l’une des figures les plus fascinantes du Moyen Âge. Religieuse bénédictine, elle est aussi compositrice, poétesse, visionnaire, autrice de traités médicaux et cosmogoniques. Inspirée, dit-elle, par la lumière divine, elle rédige deux grands textes médicaux, Physica et Causae et curae, où elle décrit une médecine fondée sur la nature, le respect des rythmes de vie et l’harmonie intérieure. Elle voit dans chaque trouble du corps un écho des déséquilibres de l’âme : la santé ne peut exister sans paix intérieure. Cette vision, profondément unifiée, fait d’elle une pionnière d’une médecine holistique avant l’heure, fondée sur l’écoute, l’observation et la modération. Bien que marginalisée au fil des siècles, son œuvre connaît un regain d’intérêt depuis le XXe siècle.

Une diététique fondée sur l’harmonie

Hildegarde ne propose pas un régime figé, mais une philosophie alimentaire adaptée à chacun. Elle distingue les tempéraments (colériques, mélancoliques, flegmatiques…) et l’état de santé pour orienter les choix. Ce qui convient à une personne peut nuire à une autre.
L’épeautre non hybridé devient, dans sa pensée, la base idéale : il réchauffe, fortifie le sang, rend joyeux et soutient l’humeur.
Elle insiste sur les aliments de saison, recommande de cuire les légumes, et préfère les préparations simples comme les bouillons ou les galettes. Selon elle, les aliments crus, acides ou déséquilibrants — fraises, prunes, oignons crus, viande de porc — sont à éviter, sauf s’ils sont traités, macérés ou adoucis.
Manger selon Hildegarde, c’est chercher l’harmonie entre saveur, tempérament, saison et besoin intérieur. Une cuisine du soin autant que de l’âme.

Goûts, remèdes et spiritualité

La cuisine d’Hildegarde est traversée par une intuition fine des effets psychiques des aliments. Elle qualifie certains d’« aliments de la joie », comme le fenouil, la cannelle ou la muscade, non seulement pour leur action digestive ou stimulante, mais aussi pour leur impact sur l’âme.
L’amertume purifie, le sucré console, l’épicé vivifie.
Ses textes médicaux fourmillent de préparations où les épices se mêlent aux plantes, aux fruits cuits, aux céréales. On y trouve des galettes, des boissons fermentées, des bouillons et des onguents, souvent composés d’ingrédients simples, mais choisis avec une extrême précision.
Hildegarde pense aussi la digestion comme un acte sacré : elle conseille de ne pas dormir après le repas, de boire modérément et de rester en mouvement doux. Chaque geste de la table devient, pour elle, un acte d’alignement intérieur.

Une sagesse pour aujourd’hui

Ce qui frappe dans l’approche d’Hildegarde, c’est sa modernité. Elle prône la prévention, la modération, la connaissance de soi et le respect du vivant.
Son rejet des excès, son souci de la saisonnalité, ses avertissements contre les poisons alimentaires… tout résonne avec les préoccupations actuelles.
Elle insiste sur le lien entre hygiène de vie, équilibre émotionnel et vitalité.
Une nourriture bien choisie ne se contente pas de nourrir : elle soigne, elle élève.
C’est une voie vers la joie, mais aussi vers la paix intérieure.
Son œuvre a inspiré, ces dernières décennies, des naturopathes, des médecins, des cuisiniers et des passionnés de santé intégrative, en quête d’un mode de vie plus respectueux, plus doux, plus aligné.
Manger avec Hildegarde, c’est goûter à une forme de sagesse intemporelle.

À travers ses écrits, Hildegarde cherchait à proposer une voie de réconciliation entre le corps, l’âme et la nature. Son approche de l’alimentation s’inscrit dans un projet plus large : vivre en harmonie avec soi-même et le monde, dans la modération, la joie et la conscience de ce que l’on consomme. Une sagesse ancienne, enracinée dans son temps, qui continue d’inspirer.

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