La cuisine de la Bible de Ruth Keenan :

entre récits sacrés et festins d’antan

Dans La Cuisine de la Bible, Ruth Keenan révèle une autre lecture de l’Ancien Testament : une fresque culinaire, où les mets accompagnent les révélations, les exils, les amours et les alliances.

Un ouvrage savoureux, érudit, empreint de profond respect pour les textes.

Aux origines, l’harmonie nourricière

Écrit par Ruth Keenan et préfacé dès 1995, La Cuisine de la Bible adopte une démarche singulière : explorer, à travers les récits de l’Ancien Testament, la place de la nourriture dans la vie spirituelle et quotidienne des anciens peuples bibliques. L’autrice a grandi au rythme des récits fondateurs, qu’elle a reçus dès l’enfance dans toute leur force symbolique. Elle ne prétend pas reconstituer les repas de l’époque, mais plutôt évoquer leur atmosphère, en proposant des menus simples et évocateurs, inspirés à la fois des textes et de l’imaginaire méditerranéen.

Dans le premier chapitre dédié au jardin d’Éden, une harmonie alimentaire se dessine : hommes et bêtes se nourrissent de végétaux. Ce projet originel repose sur l’abondance naturelle, la séparation des rôles et l’idée que la création pourvoit à chacun. L’autrice s’appuie sur cette vision pour poser les fondations de son livre. À travers une lecture attentive et empreinte de respect, elle rappelle combien l’alimentation dans la Bible est liée à l’ordre du monde, à la paix des espèces, à la sobriété juste. Chaque chapitre du livre suit une structure claire : un épisode de l’Ancien Testament, puis un menu inspiré des produits et symboles du récit.

Après le Déluge : entre permission et restriction

Le livre de la Genèse bascule avec le Déluge : la terre est ravagée, les repères sont à reconstruire, et les règles changent. Pour la première fois, l’homme reçoit l’autorisation de consommer de la viande. Mais cette permission n’est pas sans limite : il lui est interdit de consommer le sang, symbole de la vie. L’ouvrage souligne ce moment de tension, entre nécessité et sacralité. En filigrane, elle fait émerger la pensée d’un monde où l’acte de manger n’est jamais neutre. La consommation devient un geste spirituel, encadré, porteur d’une responsabilité.

À travers les menus proposés, elle traduit cette mutation : plus de richesse dans les plats, une place plus visible de la viande, mais toujours cette exigence de respect, cette gravité discrète dans la préparation et la dégustation.

Récits et festins : quand la nourriture devient mémoire

Chaque chapitre de La Cuisine de la Bible s’attache à un épisode marquant de l’Ancien Testament et en propose une lecture culinaire. Le récit d’Ésaü cédant son droit d’aînesse pour un potage de lentilles rouges devient le point de départ d’une recette simple et nourrissante, où le goût de l’immédiat triomphe sur la sagesse. Le repas de réconciliation entre Joseph et ses frères donne lieu à un banquet de plats sucrés-salés, inspirés par la générosité orientale. Le récit évoque aussi les amours de David et Bethsabée, la grandeur de Salomon ou la sortie d’Égypte, chacun transposé en menu évocateur, subtilement composé à partir des ingrédients cités dans les textes.

Du “goût du péché” aux “galettes du scandale”, les titres des chapitres témoignent d’un regard sensible et littéraire, mais toujours respectueux. À travers ces relectures culinaires, elle restitue la puissance narrative des mets : manger, c’est se souvenir, célébrer, transmettre.

Une cuisine méditerranéenne intemporelle

En parcourant ce livre, on découvre combien la cuisine biblique appartient à une tradition encore vivante. Figues, grenades, agneau, huile d’olive, miel, herbes fraîches : les ingrédients n’ont pas changé. C’est là, peut-être, la richesse la plus subtile de cet ouvrage. Sans jamais céder à l’archéologie pure, l’autrice compose des plats ancrés dans la Méditerranée, familiers mais chargés de sens.

Ruth Keenan nous montre que la cuisine des origines n’est pas figée : elle dialogue encore avec nos tables contemporaines. Chaque recette devient un pont entre passé et présent, entre sacré et quotidien. Cette résonance moderne donne à son livre une tonalité singulière : celle d’une tradition vivante, incarnée, gourmande, prête à être partagée..

Avec finesse et déférence, La Cuisine de la Bible redonne vie aux textes de l’Ancien Testament. L’autrice n’écrit pas un simple livre de recettes, mais une traversée du temps par les sensSans jamais prétendre commenter les Écritures, Ruth Keenan propose une lecture respectueuse et sensible des grands récits, nous rappelant que la table, dans la Bible, est toujours lieu de mémoire, de rite et d’humanité.

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